Comme toute l’œuvre de Claude Simon, La Route des Flandres s’écrit
dans l’après-guerreS –les deux guerres mondiales, la guerre d’Espagne,
les guerres de l’Empire et de la Révolution-, c'est-à-dire dans ce
moment d’une coïncidence traumatisante et aliénante de la mémoire de soi
et de la mémoire historique : pour la génération née en 1910,
l’histoire individuelle et l’Histoire se confondent, alors qu’elle se
découvre non seulement promise à mourir en 1940 mais aussi à voir mourir
en elle une deuxième fois ses pères tués en 14-18.
Confrontée à la monstruosité d’une apocalypse sans cesse réitérée, l’humanité voit alors s’anéantir sa foi dans le progrès tandis que se trouvent dénoncées la vanité des constructions humaines en même temps que l’inutilité de la littérature. Et pourtant, face à la débâcle, subsiste la pulsion d’une parole conjuratrice ; mise en tension avec la terrible certitude de la vacuité de l’entreprise, cette pulsion rythme l’ensemble des dialogues, toujours au bord de la rupture ; la voix humaine en effet est la dernière possibilité de résistance, comme « un enfant siffle en traversant un bois dans le noir»:
Confrontée à la monstruosité d’une apocalypse sans cesse réitérée, l’humanité voit alors s’anéantir sa foi dans le progrès tandis que se trouvent dénoncées la vanité des constructions humaines en même temps que l’inutilité de la littérature. Et pourtant, face à la débâcle, subsiste la pulsion d’une parole conjuratrice ; mise en tension avec la terrible certitude de la vacuité de l’entreprise, cette pulsion rythme l’ensemble des dialogues, toujours au bord de la rupture ; la voix humaine en effet est la dernière possibilité de résistance, comme « un enfant siffle en traversant un bois dans le noir»:
« deux voix
faussement assurées, faussement sarcastiques, se haussant, se forçant,
comme s’ils cherchaient à s’accrocher à elles espéraient grâce à elles
conjurer cette espèce de sortilège, de liquéfaction, de débâcle, de
désastre aveugle » (121)…
Et donc, pour survivre, il faut parler ; mais parler à qui ? A la putain de L’Acacia ? Au journaliste du Jardin des Plantes ? A Corinne ? « En tous cas pas à [elle] » (p.90) « La Route des Flandres » se heurte sans cesse à cette interrogation, au problème de la réception du discours. Cette indécision est aussi celle du lecteur, placé face à une énonciation infixable, labile et subversive, détruisant sans cesse les fragiles certitudes que l’on croyait acquises, soumise au surgissement anarchique des souvenirs ; perdu, malmené, asphyxié, happé par les flux du temps et de la mémoire, ce lecteur devient alors le double du narrateur et accède à l’expérience même qui lui est racontée.
Une lecture difficile mais indispensable et inoubliable ; une œuvre magistrale.
Et donc, pour survivre, il faut parler ; mais parler à qui ? A la putain de L’Acacia ? Au journaliste du Jardin des Plantes ? A Corinne ? « En tous cas pas à [elle] » (p.90) « La Route des Flandres » se heurte sans cesse à cette interrogation, au problème de la réception du discours. Cette indécision est aussi celle du lecteur, placé face à une énonciation infixable, labile et subversive, détruisant sans cesse les fragiles certitudes que l’on croyait acquises, soumise au surgissement anarchique des souvenirs ; perdu, malmené, asphyxié, happé par les flux du temps et de la mémoire, ce lecteur devient alors le double du narrateur et accède à l’expérience même qui lui est racontée.
Une lecture difficile mais indispensable et inoubliable ; une œuvre magistrale.